Bruxelles, ses restaurants et la toile
Bruxellois de cœur et grand gastronome devant l’Eternel, je me targue de connaître moult adresses culinaires dans notre belle capitale. Cet éventail est tout d’abord un héritage familial car de fait mes parents, indépendants de leur état, étaient (et sont toujours) très friands de lunch et dîners « en ville ». Dès lors, ma sœur et moi avons très tôt été bringuebalés dans les restos bruxellois. Autant j’en tirais un plaisir certain, ma cadette, pour sa part, assimilait les plaisirs de la table à une séance de torture, les fortunes furent donc diverses.
Certes, les Mozart, Taverne du Passage, Critérion, Pomme de Pin, Ogenblik, chez Vincent, Vecchia Roma, Brasserie Georges, Auberge des Chapeliers, Vieux Bruxelles, Armes de Bruxelles, Falstaff, eurent tôt faits de nous dévoiler tous leurs secrets.
Pourquoi cette évocation nostalgique ? Tout simplement pour mettre en exergue le fait qu’à l’époque pas si lointaine des années 80 et 90, nous n’avions pas ou peu le choix du restaurant où nous nous rendions. Bien-sûr parce que nous étions enfants et que ce choix incombait à nos parents, oncles, tantes, grands-parents,… mais surtout car la Toile n’était encore qu’une énième théorie du complot ou article d’une revue de science-fiction.
Dès lors, les choix culinaires dépendaient quasi exclusivement d’un héritage familial, du bouche à oreille ou d’un éventuel article ou reportage parlant de l’endroit.
Nous allions au Mozart et écoutions religieusement mon père nous raconter pour la centième fois la légende de son patron Remo, arrivé d’Italie dans les années 60, tenancier d’un club de jazz ayant pignon sur rue au centre-ville avant de devenir l’homme qui nous préparait les meilleures brochettes bourguignonnes de l’univers que nous dévorions ma sœur et moi tout en regardant ébahis les gens se rendant à la Synagogue de l’avenue Messidor le samedi midi.
Les restos des galeries Saint-Hubert (Taverne du Passage, Ogenblik) et de l’Ilot Sacré (Armes de Bruxelles, Vincent) avaient également le don de nous fasciner, avec leurs serveurs tirés à quatre épingles, leurs cartes d’un autre âge, qui nous ramenaient inlassablement vers la Belgique de Papa…
Aujourd’hui, tout cela a-t-il vraiment changé ? Non bien-sûr mais cela a évolué certainement. L’omnipotence de la Toile permet aux utilisateurs un accès quasi illimité aux informations concernant les différents lieux de bouche de notre ville : type de cuisine, détails géographiques, heures d’ouverture, et surtout l’avis d’autrui.
Attardons nous quelque peu sur ce dernier exemple. L’avis de l’utilisateur lambda, forcément subjectif mais dont vous ne maîtrisez aucunement les paramètres qui sous-tendent cette subjectivité.
Prenons le site Yelp, j’y ai personnellement posté huit articles sur des restaurants, bars, magasins et même un hôtel. Lorsque je relis mes posts, je me rends compte que les raisons objectives qui motivent mes cotations sont minoritaires par rapport aux éléments subjectifs, mes souvenirs, mes habitudes, les moments importants passés avec l’être cher dans un endroit,…
Dès lors, posez-vous la question, malgré les nombreux choix culinaires qui vous sont aujourd’hui accessibles via le Web, et les avis exponentiels liés à chacun de ses restos, vous rendez-vous toujours dans ces restos qui font partie de votre enfance, de votre vie amoureuse, amicale, familiale. En tout cas, je me rends toujours à la Pomme de Pin et regrette amèrement la disparition de Remo ni le Mozart, ni votre serviteur ne s’en sont jamais remis.